Pour la convaincre définitivement de l’accompagner jeudi dernier au concert, sa maman a glissé le mot magique « tacos »… un casse-croûte qu’elle adore. Un autre petit détail chatouille sa curiosité et l’incite à y aller : à quoi ressemble le bâtiment où ses poumons se sont remplis d’air pour la première fois il y a 14 ans ?

Alysse est née à l’Hôtel Dieu. Ici, en plus de son en-cas mexicain, elle goûte le concert de Tristesse Club pour la présence affirmée des cordes. Oui, Alysse aime la guitare, elle l’a pratiquée pendant 2 ans et en possède deux : électrique et sèche. Son frère Léo préfère jouer de la batterie. Elle aurait pu s’appeler Alice, ce qui à l’oreille ne change rien, mais ses parents ont versé un peu de fantaisie dans son prénom. D’ailleurs, elle aime bien préciser l’orthographe quand, en début d’année, les professeurs découvrent leurs élèves. Petit plaisir, celui se sentir unique.

Dans la cour de l’Hôtel-Dieu, elle porte son regard sur les bâtiments bâti au XIXe siècle, ils ne coïncident pas avec l’idée qu’elle se faisait d’une maternité. Et demain ? Elle avoue un peu d’inquiétude depuis que le mot climat sonne comme une menace. Alors elle aimerait bien s’engager dans un métier où elle peut faire quelque chose de concret pour l’écologie.

Et nous ? Les + de 18 ans ? Nous qui écrivons la partition… sans doute est-il venu l’heure de suspendre les paroles de colère, d’espoir, d’indignation et d’agir sans faire de pub. Sans attendre que les autres commencent. Qui est prêt pour entreprendre une nouvelle et étrange aventure ? Celle de réduire tout de suite nos plaisirs gavés d’électricité et de moteurs… ? Pour Alysse, Léo et tous les autres ?

Raoul Kalin

Embarqués sur un bateau électrique, le temps d’une mini-croisière sur la Vilaine, 6 festivaliers sous le coup de l’émotion expliquent comment l’expérience musico-fluviale a changé le cours de leur vie.

Ils se sont inscrits pour voir le concert du trio acoustique Güz II. S’imaginant rejoindre un appartement, ils suivent Malo* en toute confiance qui les conduit vers un ponton où flottent paresseusement six petites navettes. On leur remet un gilet de sauvetage orange, certains l’enfilent abasourdis, d’autres, ayant repéré du coin de l’œil la présence de Ganaël* et de son reflex, se méfient d’une carrière ou d’un début d’histoire d’amour réduit en miette à cause d’une vidéo en libre circulation sur les réseaux sociaux.

Une demi-bière plus tard, nous filons tel un hors-bord de contrebande, le visage fouetté par les gerbes d’eau et les yeux plissés par l’embrasement crépusculaire de la Vilaine. Louison, notre pilote, scrute la surface de l’eau pour éviter de percuter les gardons qui se prélassent entre deux eaux après une grosse journée à fouiller la vase. Nous accostons un ponton sur une île en forme de haricot, là nous attendent les trois musiciens de Güz II. L’apéritif sonore est une joyeuse composition de voix, saxo, violon et banjo, parsemée d’un peu de flûte et de clavier que soutient la boîte à rythme de secours (l’autre est tombé dans l’eau). Standing ovation dans les esquifs. Au retour, noyés d’émotion, les inconnus dans le bateau se regardent et les langues se délient.

« Je vais lancer un nouveau courant » nous confie Elodie « Le rock aquatique », et Kenza de renchérir : « Tu as raison… c’était fort… je ne l’oublierai jamais. Jamais ! ». Lulu hésite, on la sent bouleversée, elle se ressaisit et assène : « Je vais installer ma famille dans une maison au bord d’une rivière ! ». Louison, qui pilote d’une main nonchalante, se redresse et crie : « Et moi passer mon permis bateau ! », Claire l’encourage d’un hochement de tête, elle envisage maintenant d’expérimenter des choses un peu folles à Rennes, dit-elle d’un air mystérieux. Les regards se tournent alors vers Pauline qui n’a encore rien dit. Elle désigne Elodie et Claire : « Pour mon retour à Rennes, mes amies m’ont invité à cette soirée surprise… se sentir aimé comme ça… waouw… ». Silence on the boat. S’ils le pouvaient, les gardons applaudiraient. Je m’empresse de noter ce moment magique dans mon calepin gondolé par l’humidité.

Raoul Kalin

JEU

Saurez-vous identifier sur la photo Kenza, Louison, Lulu, Elodie, Pauline et Claire à partir de leurs citations ?

* Pour protéger l’anonymat de Max et Gilles, les prénoms ont été changés

Il faut un méga sentiment de liberté pour se trimbaler à un concert metal avec sur le dos un tee-shirt à l’effigie de Will Smith. Vendredi 13 septembre, lancement simultané du festival et de décibels saturées. Rien n’est laissé au hasard dans le choix des vêtements. Les looks comptent double. Ils gueulent une préférence, portée par le noir, confirmée par le nom d’un groupe à la typographie hérissée ou dans l’ébrouement d’une chevelure qui laisse au chroniqueur en perte de vitesse capillaire un sentiment mitigé d’admiration et de nostalgie. Le metal a gardé un certain goût pour le spectacle, la démesure et la fantaisie. Sur scène, on se régale. Et le public n’est pas en reste.

Qui ose profaner l’ambiance ? Se balader comme si de rien n’était avec affiché sur le torse le visage du prince de Bel-Air (à l’âge adulte) ? Et je ne parle pas ici d’un curieux égaré là en croyant assister à une séance de méditation collective, abusé par Mantra, le nom d’un des groupes programmés. J’évoque un ultra fan le poing levé qui hoche la tête en rythme. Ce type est capable de débarquer à un rassemblement de Hells Angels en Vespa jaune fluo. Et vous savez pourquoi ? Il est pile poil entre deux moments, dans un espace – affranchi des snobismes et du regard des autres – qui ne dure que quelques mois : il a 13 ans.

S’il avait eu le choix, Eflam* aurait choisi son tee-shirt Megadeth. Mais il n’a pas eu le temps de se changer vendredi en fin d’après-midi quand son père lui a fait la surprise. Débarqué en mode parachutiste, il a retrouvé sur place ses deux potes Mael et Melaine, eux aussi amateurs éclairés de cette musique qui chauffe à blanc toutes les cordes. Les trois comparses envisagent de créer un groupe… Quand ils auront trouvé un batteur et un chanteur, me disent-ils. J’aurais aimé donner ici le nom du futur combo, mais ils en débattent encore.

Il y avait un vent de liberté au Liberté vendredi soir. La vraie liberté, pas celle qui pose et fait de grands discours, la liberté de profiter à fond du moment en oubliant d’évaluer l’opinion des autres. C’est peut-être une caractéristique de la scène metal ? En espérant vous retrouver sur scène un de ces quatre… continuez à vous amuser les gars. On s’en fout du tee-shirt.

Raoul Kalin

* Les prénoms n’ont pas été modifiés pour que chacun puisse se reconnaître

Quand la moutarde monte au nez, les poings se lèvent, disait un cousin éloigné de B. Marley, cuisinier au Zimbali’s Mountain Cooking Studio. Mais entre les premiers murmures et l’incendie, il n’est pas trop tard pour agir. L’observateur voit onduler toute une gamme d’émotions à la surface de la soupe comme de timides mises en garde. Chroniqueur du festival, il est de mon devoir de pointer du doigt les signes avant-coureur de la colère. I’m from Rennes a bâti sa réputation sur une programmation aux petits oignons, une ambiance chaleureuse et des bénévoles dévoués corps et âme. Tout est-il aussi rose que le cœur d’une saucisse avant la cuisson ? Je m’interroge. Cette question vient troubler ma quiétude.

Mercredi 22 mai, ces fameux bénévoles participaient à une petite soirée de mise en jambe, à la Maison Bleue, boulevard de Verdun, tout en écoutant l’électro-rock plutonique des encapuchonnés Strup. Dans le dos du public, deux silhouettes fantomatiques à peine visibles derrière un rideau de fumée. Non, ce n’était pas une mise en scène audacieuse. Une chorégraphie volcanique et bizarre. Mais deux ouvriers de la saucisse, le visage rougit par les braise, qui s’activaient pour délivrer un produit de qualité, grillés à la perfection (de juteuse à roasted pour satisfaire – sans juger – les goûts les plus éclectiques). Ils n’ont que faire de l’odeur incrustée dans leur jean qui anéantit leur sex appeal. Ces gens-là, modestes, s’abiment dans l’amour du travail bien fait. Leur fierté à eux n’est pas d’être adulés, photographiés, désirés… Non ! Leur honneur réside dans une saucisse livrée chaude et au bon moment.

Inutile de forcer le trait, vous avez compris où je veux en venir. Oui, très bien. Lors des prochains concerts d’IMFR, partagez donc un peu de votre admiration (ou faite mine). Donnez du love, du like, du kiss aux serveurs, cuisiniers, roadies et petites mains calleuses qui activent la pompe à bière. Plein.

Raoul Kalin

Vous avez déjà vécu cette expérience : vous poussez la porte d’un appartement pour la première fois et il vous semble entrer dans la tête du propriétaire. Vous êtes frappés par l’évidence. Les fringues éparpillées comme après une tornade racontent, les murs dépouillés et blancs racontent, les spaghettis d’une semaine entortillés dans la grille de l’évier racontent, les photos à la gloire de la famille encadrées en format 70×100 au milieu du salon… Oui. Indéniablement. L’intérieur dévoile notre histoire personnelle.

Ces dix premières années de sa vie aux USA dont il parle avec une lumière dans les yeux qui ne trompe pas

Mardi 18 juin, les programmateurs d’I’m from Rennes ont poussé l’expérience au-delà des limites déjà éprouvées au cours des précédentes éditions. Nous étions une petite cinquantaine à nous rendre joyeusement à notre rendez-vous secret, dans un appartement de Rennes, sous le soleil doux de la fin de journée, à peine distraits par l’équipe vidéo ultra-mobile qui enchaîne les micro-trottoir depuis le début du festival. Nous allions écouter Guillaume Fresneau, ReDeYe de son nom d’artiste.

Assis sur un tabouret au milieu du salon de nos hôtes, il prodigue sa folk souple et profonde, un tapis de sable où déroulent, d’une voix chaude, ses souvenirs d’enfance au Texas. Car son nouvel album, intitulé THE MEMORY LAYERS (les couches de mémoire) – petit bijou sonore taillé à Denton, une ville à une soixantaine de kilomètres de Dallas -, n’est rien d’autre qu’une plongée dans ses souvenirs intimes.

Redeye l’a écrit et composé en hommage à son enfance heureuse. Ces dix premières années de sa vie aux USA dont il parle avec une lumière dans les yeux qui ne trompe pas et nous fait dire, ce gars-là a eu de la chance et il le sait. D’où cette musique apaisée, forte, tranquille et sûre d’elle-même sans fioriture.

Nous étions donc, pour notre plus grand bonheur, plongés dans l’histoire personnelle de ReDeYe, lui-même installé dans un appartement qui raconte l’histoire personnelle d’une famille, et cette double intrusion, qui n’est pas sans rappeler le concept d’Inception (mais en positif !), nous laissait ravis. Calmes. Enrichis de ces couches de souvenirs qui se superposent. Et par un bizarre transfert, dans la magie du moment, les souvenirs montrés ou chantés finissent par nous appartenir, à nous aussi.
I’m from Rennes invente sans grandiloquence d’incroyables expériences psychiques.

Raoul Kalin

Samedi 15 septembre 2018, salle Guy Ropartz, le public hilare croyait applaudir, à s’en casser les phalanges, un match d’impro. Mais c’est en vérité un événement bien plus considérable auquel il a assisté. Vous voyez ce genre de petite graine mentale qui se développe à la vitesse de la lumière et secoue l’ordre du monde ? Enfin, pas tout de suite, tout de suite, au début on ignore l’événement. Il faut laisser le temps aux médias et aux intellectuels de s’emparer du concept et d’en mesurer la portée révolutionnaire. Je m’explique.

Nous venons d’assister à un événement historique

Le match de samedi était agrémenté d’une fantaisie très I’m from Rennes, deux musiciens live dialoguaient avec les comédiens, ajoutant une touche d’imprévu à la corde tendue au-dessus de l’abîme où s’élancent, avec la légèreté d’un faon, des improvisateurs munis d’aucun plan B ni parachute. Ce match avait une seconde particularité : le match opposait l’actuelle équipe de la TIR à l’ancienne équipe, baptisée pour ce duel éphémère la RIT (Roazhon Improvisation Troup). Je ne divulguerai pas les confidences dans les loges, où l’on évoquait à bas mots les difficultés des organisateurs pour convaincre et réunir les membres de la TIR historique. Tous éparpillés, certains végétant dans des EPHAD miteux, d’autres ayant changé d’identité pour fuir le fisc, sans compter les reconversions dans l’hôtellerie de luxe dans des îles paradisiaques. Un long travail d’investigation qui aurait coûté, selon mes informateurs, un « fric de dingue ».

C’était donc ce soir-là une épreuve pliée d’avance où la jeunesse surentraînée, gavée de fortifiants, le torse bombé et le regard moqueur, allait découper en rondelles une bande d’ex-gloires du ring, fatigués par les abus de drogues et de sexe. A la fin du temps réglementaire, à la surprise générale, les équipes étaient à égalité de points. Cinq partout. Le dernier match, sur le thème « les choix d’Olga », fut emporté par la RIT. Les retraités venaient de donner une leçon aux actifs ! Le public ébranlé n’en croyait pas ses yeux. Stupeur, larmes, cris de joie ou de désespoir, un tsunami secoua les gradins. Moi-même, je mis quelques longues minutes à réaliser.

Nous venons d’assister à un événement historique. Il est désormais démontré que des vieux à la retraite peuvent faire aussi bien que de jeunes talents. Les compétences physiques, créatives et intellectuelles ne se dégradent pas avec l’âge ou le manque d’entrainement. Conclusion ? Des projections ont été réalisées dans la nuit de samedi à dimanche par une team de chercheurs en économie, sociologie et robotique. Les premiers résultats sont époustouflants. Nous disposons en France d’une réserve de 16 millions de retraités. En injectant ces forces vives dans l’économie, nous pourrions régler tous nos problèmes. Finis le stress des salariés débordés de travail et les débats sans fins sur les manques d’effectifs dans la police ou les hôpitaux. La France pourrait retrouver sa première place dans le concert des nations. Imaginez le centre d’appel d’un opérateur internet qui décroche à la première sonnerie ou un bureau de poste en centre-ville sans file d’attente. Une utopie ? Non ! Cette société épanouie et cool est possible grâce à la nouvelle main d’œuvre disponible des retraités. Cette idée, tellement simple et révolutionnaire, nous la devons aux comédiens de la Troupe d’Improvisation Rennaise. Ils nous ont démontré avec talent, samedi soir, que l’avenir se joue jeunes et vieux main dans la main.

Raoul Kalin

Aujourd’hui, nous allons apprendre à faire la différence entre un « good deal » et un « bad deal ». Concentrez-vous bien, il y a des pièges.

Situation numéro 1 : Je suis une jeune actrice séduisante qui rencontre un producteur de cinéma avide d’argent et de sexe. L’homme devient pressant, deux choix s’offrent à moi :

  • Faire voltiger le cigare du producteur en lui disant, avec panache : je négocie mon talent, pas mon cul !
  • Accepter le deal contre la promesse d’un second rôle dans une comédie musicale sur une confrérie de moines qui a fait vœux de silence.

Situation numéro 2 : Je vais dîner à la table d’un pote qui a quitté un job dans l’administration territoriale pour ouvrir son propre restaurant. Après un excellent repas et deux bouteilles de vin, on m’apporte l’addition :

  • Je tends ma carte bancaire tout en pianotant un commentaire dithyrambique sur TripAdvisor.
  • Je suis scandalisé d’avoir à payer comme n’importe quel client, je l’efface de ma liste d’amis illico.

Situation numéro 3 : J’envisage d’aller au concert d’un groupe dont j’ai entendu beaucoup de bien, j’ai maté leur clip tourné à Rennes et je suis curieux de voir ce qu’ils donnent en live. La place est payante :

  • Ben ouais… c’est un concert.
  • Il se trouve que j’ai une amie, qui connaît un type qui est voisin de palier du bassiste, ça m’embête de payer.

On aimerait tous que la vie soit une suite de cadeaux désintéressés, que l’argent coule à flots dans la poche d’amis philanthropes qui investissent dans une fondation au profit de notre seul bien-être, que des musiciens improvisent partout où nous mettons les pieds des concerts surprise (et gratuits) pour nous distraire et, cerise sur le gâteau, qu’on jette en prison tous les connards qui nous manquent de respect. Bref, vivre dans la peau d’un dictateur. N’est pas dictateur qui veut, à moins d’avoir de la famille qui vous pistonne.

Les spectateurs ne vont pas aux concerts par obligation morale, comme les parents aux spectacles de fin d’année de leurs enfants. La musique a-t-elle de la valeur ? Si oui, est-il envisageable de rétribuer les artistes et techniciens qui vous offrent un spectacle que vous avez choisi ?

Raoul Kalin

Le premier choc esthétique de l’histoire de la musique avec un homme portant un casque de chantier remonte à la fin des années 1970. David Hodo (l’ouvrier) et sa clique s’adonnaient à une disco calibrée pour chauffer à blanc les dancefloors en scandant des refrains qui encourageaient les jeunes hommes à savourer chaque instant de la vie. Personne n’avait eu l’audace de toucher à ce symbole. Des profondeurs de la terre, un événement est survenu le jeudi 21 septembre à Rennes qui fera trembler l’histoire. Arrachées les pages de l’encyclopédie des icônes ! Brisées nos références gravées dans le marbre ! Le casque de chantier n’est plus sous copyright des Village People…

Les quatre garçons élèvent Rennes dans la dynastie des villes françaises où il se passe des choses excitantes.

Le blasphème s’est déroulé trois fois de suite, devant une cinquantaine de témoins, eux-mêmes casqués et enveloppés dans une veste fluorescente, dans le chantier de la future station du métro à Cleunay. Dans cette chapelle de béton, le groupe Manceau délivrât trois sets délicats, teintés de mélancolie, une pop aérienne et entraînante, tandis qu’un déluge inondait le terrain au-dessous de nos têtes, faisant couler la boue dans les escaliers.

Magie du talent. Ils nous firent oublier le froid et la pluie. Samuel, Vincent, François et Julien aménagent dans l’espace une sorte de bulle qui, en dépit du lieu austère, donne un sentiment d’intimité. Une douceur. Difficile d’intervenir. Tenté un moment d’arracher les câbles de la sono pour mettre un terme à cette mascarade, je fus dissuadé par le regard d’un certain Ced, à qui veste fluo et casque de chantier conféraient une autorité devant laquelle même un hooligan défoncé à la bière demanderait « s’il vous plait » avant d’oser aller pisser.

Doit-on pour autant pardonner Manceau ? Est-il possible d’ignorer ce hold-up culturel ? Doit-on envisager un procès contre le président d’I’m From Rennes impliqué dans ce concert sous-terrain ? Manceau réjouit le public. Manceau est singulier sans être snob. Manceau apporte sa jolie pierre à l’édifice pop. Les quatre garçons élèvent Rennes dans la dynastie des villes françaises où il se passe des choses excitantes. Alors bon, OK, tant pis pour le détournement, vous êtes blanchis, de toute façon, et j’ai peut-être omis cette information, le casque de chantier sur un chantier est obligatoire.

Raoul Kalin

En tant que chroniqueur, je suis régulièrement appelé de par le monde pour couvrir des événements mondains et j’ai quelques scrupules parfois à m’empiffrer à des buffets gratuits étant donné les cachets mirobolants qui me sont versés. Et je ne parle pas des avantages en nature, nombreux – véhicule de sport polluant ou call girl non syndiquée, que je refuse par déontologie. J’ai des scrupules mais je dois composer avec un corps d’athlète qui réclame sa dose de sucre et de lipide. Ma vie est une lutte pour rester mince.

Ils peuvent te parler d’un groupe qui a changé leur vie

Invité à la mairie de Rennes par mon ami Brad pour le lancement d’I’m From Rennes, je n’ai pas osé dire non, mais j’ai vu arriver le piège gros comme une maison : comment ne pas succomber une fois encore aux tentations des petits fours ? J’avais tort de m’inquiéter. Et vous savez pourquoi ? Ce n’était pas le genre de manifestation où l’on fait mine d’écouter son voisin la bouche fourrée de canapés. Description du public : bénévoles, DJ (Alvan pour la musique), élus, chanteurs, organisateurs, photographes et musiciens.

Des gens qui ont tous un point commun, ils aiment. Ils peuvent te parler d’un groupe qui a changé leur vie, s’enflammer pour un jeune artiste sorti d’un quartier de Rennes ou célébrer les organisateurs de concerts des temps anciens qui ont forgé la réputation de Rennes. Ces gens ont une sensibilité spéciale et ils lâchent, parfois, sans mesurer la force prophétique de leur phrase : « il se passe un truc à Rennes ». Ces gens ont un autre point commun essentiel qui les relie comme un fil invisible. Ils aiment Simon Carpentier. Ils aiment son œuvre, son immense talent et ils savent tout ce qu’on lui doit dans la genèse du festival. Quand on est entouré de gens comme ça, qui aiment, qui adorent, qui vénèrent, on se laisse prendre. C’est notre faiblesse.

Discutant avec les uns et les autres, je n’ai pas vu le temps passer, j’ai laissé filer ma chance et quand je suis arrivé au buffet, il était trop tard. Il ne restait plus rien, sauf une paire de tartelettes jaunes que j’ai gobées en sanglotant. S’ennuyer et grossir ou vivre I’m From Rennes et rester mince. Tel est le choix qui s’offre à nous.

Raoul Kalin

Glissé sous une fausse identité dans la peau d’un « bénévole » d’I’m From Rennes, j’y étais. Dans l’arrière-salle du Oan’s pub, mercredi 30 août 2017, en début de soirée, au cours d’une réunion tenue secrète pour toute personne ayant décidé de boycotter facebook ou ne plus payer de forfait téléphone.

J’ai un projet. Celui de dévoiler les motivations cachées des bénévoles d’I’m From Rennes.

Me faisant appeler Brad, une barbe factice, 17 badges piqués sur mon blouson et, lové sur mon avant-bras, un somptueux tatouage de tigre du Bengale (le plus dangereux des félins), réalisé au bic cristal soft pointe 1,2 millimètre par un neveu expert en plagiat de Walt Disney. Surprise et déception… Ils n’étaient pas tous tatoués avec de grosses barbes, certains n’avaient pas de poils du tout et… l’assemblée comptait aussi des femmes. Ce qui me laissa le goût amer de m’être beaucoup trop investi dans mon personnage de hipster. D’autant que ma barbe factice m’a démangé toute la soirée. A l’heure où j’écris ces lignes, j’ai encore des rougeurs.

J’ai un projet. Celui de dévoiler les motivations cachées des bénévoles d’I’m From Rennes. Qu’est-ce qui anime le cœur des hommes (pas forcément barbus ni tatoués et qui sont parfois des femmes) venus participer sans aucune contrepartie financière à cette belle aventure ? Pourquoi mettre son énergie, sa bonne volonté, ses compétences, sa jeunesse, sa bonne humeur, et j’en passe sur la tripoté de bons sentiments, au profit d’un long et trépidant festival qui va nous faire kiffer le mois septembre ? Je n’ai pas trouvé la réponse. J’invoque l’esprit du tigre (le plus fourbe des félins) et je jure, je jure solennellement, incliné à l’est vers la tombe de Jim Morrison, de m’engager corps et âme pour résoudre cette énigme, dussé-je me faire appeler Brad pendant les 11 jours du festival.

Raoul Kalin